Pourquoi l’Aloès?

L'ALOES D'ICI

Considérée des Antilles, terres pourtant réputées pour la richesse de leur biodiversité, l’Aloès n’est pas une plante endogène. Elle proviendrait de lointaines contrées, comme tant de substrats des cultures antillaises. Pour elle singulièrement, son origine serait, dit-on, plutôt méditerranéenne.

Cependant, il existe actuellement tant d’espèces d’Aloès de par le monde que l’on dirait volontiers que chaque pays possède la sienne. En vérité, cette plante a une capacité hors du commun pour s’adapter à la diversité des éco systèmes terrestres et se développer partout, sous les latitudes où elle trouve l’alternance climatique du chaud et du tempéré.

Chez nous (« ici yamèm »), dans les Caraïbes, la nôtre, l’ « Aloe vera », est florissante et profite à pleine sève du climat tropical humide des iles de l’archipel, de Trinidad et Tobago jusqu’aux Bahamas.

En Martinique, cette plante est capable de supporter aussi bien les aridités marines des arrières-terres des Salines et des bordures de mangrove des Caps de l’extrême Sud Saintannais , que celles des façades desséchées des mornes de la presqu’ile de la Caravelle. Elle est tout autant à son aise dans les sols perpétuellement humides de Desruisseaux ou de Ravine braie à Rivière Pilote, des campagnes reculées d’Ajoupa Bouillon ou de Parnasse au Morne rouge.

C’est que l’Aloès est robuste, car formée d’une rosette de feuilles charnues et pointues. Plus larges à la base, recourbées ou dressées et bordées de petites épines, ses feuilles sont souvent parsemées de taches claires.

Plante particulièrement résistante et facile d’entretien, sa multiplication est simple et s’obtient par la mise en terre des rejets séparés et récupérés à la base des plantes mères.

Pourtant l’Aloès est loin d’être une plante banale dans les Caraïbes ; au nord, à Cuba, elle tient une place importante dans le décorum des panthéons religieux afro-caribéens dédiés aux Orishas de la Santéria, en tant que signe de fécondité et de ténacité du corps et de l’esprit.

Plus au sud, en face des petites Antilles, au Venezuela, on lui voue un véritable culte national, d’abord parce que la résine de ses feuilles (l’aloïne) fait l’objet d’une mise en valeur industrielle et artisanale à grande échelle. Dans cet immense pays, elle représente par excellence la plante fétiche de la chance, de la prospérité et de la bonne santé.

Ici, en pays Martinique, il y a déjà bien longtemps que l’artisanat agro-alimentaire s’est emparé de ses potentialités pour en faire non seulement des produits à usage médicinal, mais aussi cosmétique.

De tout temps,  la médecine traditionnelle antillaise a reconnu ses multiples et diverses vertus. C’est ainsi qu’elle a toujours habité les alentours de la sphère domestique, comme élément très actif de la pharmacopée usuelle.

Mais partout dans l’univers familial antillais, elle affirme une présence discrète, mais ferme et distinguée ; celle reconnue habituellement aux plantes à pouvoir surajouté parce que,  à la fois dépolluant les atmosphères, soignant de multiples maux du corps, mais aussi magique parce que protecteur à l’encontre des mauvais esprits rôdeurs et malins.

Vraies sentinelles armées, l’Aloès dresse ses feuilles pointues et épineuses à l’entrée des habitations. Comme tous les éléments magiques, c’est la force des adhésions au système de croyances qui fonde leur pouvoir sur la conscience des hommes.

La puissance quasi surnaturelle octroyée à cette plante familière lui confère une valeur culturelle marquante. Une signification profonde que la coutume consacre et dont l’efficacité symbolique rassure Tobbie Nathan dirait que son efficacité de plante médicinale tient d’abord à « son influence qui guérit ».

De l’Aloès, il y a lieu de retenir, en effet, sa haute valeur symbolique, celle de sa grande adaptabilité, de sa forte résistance et de son utilité soignante. Mais aussi l’humilité forte d’une présence sans grande exigence matérielle à l’égard de son entourage végétal et humain immédiat. Une présence éco systémique économe quasi silencieuse qui donne plus qu’elle n’attend de recevoir ; généreuse qu’elle est de ses feuilles en délaissement naturel, en promesse annoncée et en offrande continuelle des richesses infinies de sa sève. 

Il y a quelque temps, en recherche d’une appellation appropriée au bénéfice d’une structure d’aide psycho pédagogique en difficile gestation, celle de « l’Aloès » a été nominée parmi d’autres, au sens où, collectivement, elle a été choisie, sans doute en raison de son indéniable prestige, mais aussi de ses vertus connues de remédiation. Puis, ce nom d’Aloès a été formellement distingué, définitivement retenu et attribué à la structure. Dans le non-dit de ce lieu en reconstruction et en inscription sociétale, il est sans doute vécu intimement comme un nouveau marqueur de l’identité souhaitée ou retrouvée.

Au regard des auteurs de ce choix distinctif,  les potentialités bienfaitrices de cette plante seraient susceptibles d’influencer positivement l’histoire future de cette structure et de ses congénères à venir.

Comme tout rituel de baptême, donc de passage,  c’est à la puissance symbolique de cette plante exemplaire que certainement l’acte de nomination/désignation s’en remet.

Être végétal donc vivant, la plante a besoin des substances nourricières de sa sève ; celles que sa propre énergie puise inlassablement dans l’air et la terre de son éco système.

Métaphoriquement on pourrait dire qu’il y va de même des systèmes socio humains. Et, en l’occurrence, que les structures porteuses désormais du nom emblématique d’Aloès n’échappent pas à leur destin humain : pour ses acteurs, se contraindre à accomplir dans la permanence du quotidien,  les actes de leur propre construction. Affirmer et démontrer tous les jours et à chaque instant, que les hommes qui les composent ont la volonté de l’inscrire concrètement dans le durable de l’histoire partagée.

Assurément, quelques tracées de sens sont portées par l’Aloès, plante réinterprétée,  imprimée dans le syncrétisme du fond culturel afro-caribéen, mais aussi éminemment présente dans nos alentours et porteuse d’une antillanité moderne et affirmative d’elle – même.

Puisse tout ce qui se réclame emblématiquement de l’Aloès parvienne à puiser dans la puissance de sa symbolique, clairvoyance pour la pensée, sens et force pour l’action.

Louis Félix OZIER LAFONTAINE

Régale, Morne caraïbes

Rivière Pilote – Martinique

Décembre 2008